Un thé avec Nathalie Granes, référente VTI en Île-de-France
Dans cette série d'articles, nous vous proposons de rencontrer les acteurs des villes et territoires intelligents (VTI) du Cerema dans les différente directions territoriales. Pour cette seconde édition, nous partons en Île-de-France rencontrer Nathalie Granes.
Bonjour Nathalie, peux-tu nous présenter ton parcours ?
J’ai commencé mon parcours professionnel dans un petit cabinet de conseil auprès des collectivités territoriales, en travaillant sur des programmes européens de coopération transfrontalière et sur la redynamisation de territoires anciennement industriels. Puis, j’ai eu envie de passer du conseil à la mise en œuvre en devenant contractuelle au département de la Seine Saint Denis, d’abord comme chargée d’étude à la direction des transports, puis comme cheffe de service à la direction des finances pour le suivi des SEM et organismes associés.
10 ans plus tard, après 2 concours et un mastère Génie Urbain à l’ENPC, j’ai rejoint la direction transport de la Région Ile-de-France pour m’occuper du PDUIF Plan de Déplacement Urbain d’Ile-de-France (mise en œuvre, révision, enquête publique et adoption du 2eme PDUIF). J’étais également directement en charge de piloter les politiques régionales sur les Plans de Déplacements d’entreprises et les nouveaux services de mobilité pour accélérer la décarbonation des transports.
Puis, j’ai pris la tête d’un nouveau service dédié au fret à la logistique et élaboré une première stratégie fret et logistique régionale. Dans ce cadre, j’ai eu l’occasion d’accompagner des projets de démonstrateurs portant sur la question des données, pour améliorer la connaissance des opérations logistiques sur le territoire et identifier les marges de manœuvre pour mutualiser les flux.
Je suis arrivée au CEREMA Ile de France en juillet 2023 comme référente Villes et Territoires Intelligents (VTI).
En quoi consiste ton activité au Céréma ?
En tant que référente Territoriale VTI, je retrouve beaucoup de similitudes avec le rôle de Frédéric Comode (cf cet article) : l’enjeu est de construire une offre pour accompagner les collectivités dans une meilleure utilisation de leurs données pour piloter leurs politiques locales. Dans ce cadre, je suis le relai territorial de la mission Fabric’O qui met à disposition des collectivités des outils numériques (notamment la plateforme de prototypage) et méthodologiques, et qui permet de bénéficier d’expertises et de tout un écosystème d’acteurs, publics et privés, œuvrant pour une utilisation raisonnée et optimisée du numérique au service des transitions.
Je m’appuie également sur le réseau interne des référents VTI et sur leurs retours d’expérience.
Au sein de la DTER Ile-de-France, rattachée au domaine d’Expertise Territoriale Intégrée, nous travaillons, à partir d’interventions thématiques, sur les enjeux de dé-silotage de la donnée, pour permettre à la collectivité de mieux les valoriser en les mutualisant dans une approche de gouvernance globale.
Peux-tu nous donner un exemple de projet sur lequel tu travailles avec un territoire ?
La ville de Noisy-Le-Grand nous a sollicité pour l’aider à mieux anticiper les besoins de places dans ses établissements scolaires et périscolaires.
En effet, la ville n’a pas les outils lui permettant d’évaluer l’impact des nombreux programmes d’aménagement livrés chaque année sur l’évolution de sa démographie scolaire (quantitative mais aussi en termes de typologie de population) et connaît des difficultés pour dimensionner correctement la programmation des équipements et des prestations scolaires et périscolaires.
La ville a d'abord expérimenté l’outil Urban simul, mais ce dernier ne répondait pas complètement à son besoin. Elle a donc demandé au Cerema de concevoir un outil de modélisation et de simulation s’appuyant sur l’intelligence artificielle, capable de s’ajuster régulièrement à l’évolution du contexte local, en intégrant au fur et à mesure les nouvelles données disponibles pour disposer d’une vision fine infra annuelle et des perspectives ajustées en pluri annuel des élèves.
Le CEREMA n’ayant pas d’expertise en matière de programmation scolaire, nous avons travaillé avec un bureau d'études spécialisé (le cabinet FORS-RS) et avons procédé en plusieurs étapes :
- Le BET a déroulé sa méthodologie habituelle pour construire ses prévisions, en s’appuyant sur l’élaboration d’une matrice Excel, à partir de calculs de ratios pour estimer l’évolution annuelle du nombre d’élèves par niveau de classe (en prenant en compte un certain nombre de paramètres comme les fratries, les modifications de la carte scolaire…)
- Le Cerema a ensuite récupéré les données et la méthodologie du BET (sa matrice) pour construire son modèle en utilisant la plateforme de prototypage nouvellement créée par la mission Fabric’O : le principe est de reconstituer à l’identique la méthode dans un environnement « Context broker », puis de vérifier la fiabilité des résultats produits par le modèle (en les comparant à ceux du BET) afin de caler le modèle, et de tester différents paramètres pour ajuster les coefficients de chacun afin de stabiliser le modèle.
- Une fois le modèle calé, on utilise la plateforme dans un 1er temps pour tester les possibilités d’automatisation des calculs actuellement faits à la main par la BET. Puis dans un 2nd temps, après la collecte de nouvelles données auprès du BET, nous pourrons tester la valeur ajoutée de l’IA, par exemple pour :
- corriger automatiquement les taux de passage des élèves en intégrant des facteurs extérieurs dans une série rétrospective (i.e retard de livraison d’un programme immobilier),
- définir des typologies d’occupation du parc immobilier et en déduire l’impact en terme d’effectif scolaire,
- intégrer l’évolution de la dynamique foncière locale (par ex avec l’arrivée du métro) etc….
La plateforme du CEREMA permet de concevoir l’outil puis de tester des supports de visualisations, ce qui permettra ainsi à la ville de tester différents scénarios d’ajustement de cartes scolaires en visualisant directement l’impact sur les effectifs par établissement, tant pour le scolaire que pour le périscolaire.
L’intérêt pour la ville est de pouvoir récupérer directement l’outil dans sa plateforme open source, et de pouvoir exploiter ensuite de façon autonome les différents scénarios dans la durée.
De son côté, le Cerema pourra réutiliser les modèles de connaissances conçus pour ce projet dans de futurs projets.
Quelles sont les "tendances" que tu observes des projets dans les territoires ?
On constate un engouement autour des jumeaux numériques et de l’Intelligence Artificielle, stimulés par de nombreux appels à projets et autres offres d’accompagnements, publics comme privés.
Les collectivités ont conscience qu’elles ont beaucoup de données mais n’optimisent pas suffisamment leur exploitation, ni en interne (gouvernance) ni en externe (stratégie territoriale).
Il faut pouvoir distinguer le discours ambiant (IA frugale, solutions clés en main, IT for Green…) et la qualité ou réalité des organisations mises en place. On assiste à une multiplicité de projets, mais qui manquent souvent d’une vision macro (supra territoriale) sur les enjeux d’interconnexion et de mutualisation. Or sans interopérabilité, la multiplication des projets ne permettra pas de construire des outils au service de la transition, qui nécessite au contraire de pouvoir agréger et exploiter les données à différentes échelles (du local au niveau européen et mondial).
Le Cerema, en tant que tiers de confiance qui porte les enjeux de transition écologique et d’interopérabilité, peut apporter son expertise et son soutien aux collectivités pour développer des solutions adaptées et utiles.
Quels sont pour toi les enjeux principaux pour que le numérique / la donnée soit utile au développement durable de nos territoires ?
- Répondre à un besoin : donc prendre le temps en amont de clairement définir le besoin, le pourquoi, la valeur ajoutée attendue du numérique (cf. le programme Capacities)
- Inscrire le numérique dans une vision stratégique, au service du développement durable du territoire : veiller à une gestion sobre des ressources, ce qui renvoie aussi à la planification (s’inscrire dans les documents stratégiques : schémas directeur, PCAET…). Appréhender la dimension très physique du numérique
- Mesurer et évaluer pour convaincre ou réorienter (si décalage avec objectifs visés), et réduire le décalage entre discours et réalité (impact environnemental, impact économique, accessibilité pour tous, confidentialité et éthique, partage des données, transparence.). L’évaluation doit aussi permettre de pérenniser et capitaliser sur les projets.
- Rendre accessible : concevoir et mettre à disposition des outils, équipements, méthodologies pour partager, acculturer et diffuser, et permettre à toutes les collectivités quelle que soit leur taille de bénéficier des atouts du numérique.
Merci Nathalie ! Vous êtes un acteur public ou privé situé en Île-de-France et vous souhaitez avoir l'accompagnement du Cerema sur vos projets lié aux territoires intelligents, à la gouvernance des données ou aux jumeaux numériques ? Contactez Nathalie grâce à notre formulaire de contact.